Par 56 J-G-R-C 77
* POÈME D'HIER
BAUDELAIRE Charles
1821 – 1867
LE LETHE
Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes
doigts tremblants
Dans l’épaisseur de ta crinière lourde :
Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt.
Je veux dormir ! Dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J’étalerai mes baisers sans remords
Sur ton beau corps poli comme le cuivre.
Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers.
A mon destin, désormais mon délice,
J’obéirai comme un prédestiné ;
Martyre docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice.
Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë,
Qui n’a jamais emprisonné de cœur.
Diffusion François Beauval
1ér trimestre 1975
J-G-R-C-
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